Transition énergétique : la trajectoire du “moindre effort”

ggrln
5 min readApr 24, 2020

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Quand il est question de transition énergétique et de décarbonation profonde ce notre économie, la nécessité de concéder d’importants efforts et l’urgence absolue ne mettent jamais longtemps à s’introduire dans le débat.

De quels efforts parlons-nous ? D’où vient la cible individuelle de 1,5 tCO2eq/an ? De quel délai parlons-nous pour caractériser l’urgence ?

En tentant de répondre à ces questions, nous finissons par établir la trajectoire de décarbonation du moindre effort pour respecter les 2 °C de réchauffement à l’horizon 2100. Ne nous trompons pas, le “moindre effort” correspond tout de même à un choc.

D’où vient la cible de 1,5 tCO2eq/habitant/an ?

Pour que le système soit en équilibre, il faut que les émissions annuelles de CO2 par les humains soient au maximum égales à la capacité d’absorption des puits de carbone du système Terre. Ces puits représentent une capacité annuelle de l’ordre de 11 Gt CO2 qui peut évoluer notamment en fonction du réchauffement de la température (impact sur la croissance des végétaux, impact sur la capacité d’absorption des océans…etc.). Une valeur à considérer avec précaution.

Cette capacité d’absorption, il faut la diviser par le nombre d’individus sur Terre pour répartir les droits équitablement. Avec une humanité de 7,6 milliards cela fait 1,5 tonne de CO2 par personne, avec une humanité de 10 milliards, c’est 1,1 tonne de CO2 par personne.

Aux incertitudes près, nous retrouvons l’ordre de grandeur des 1,5 tCO2eq/habitant/an.

A ce jour, l’humanité émet un bon 45 GtCO2eq par an. De même, il y a des incertitudes sur cette valeur.. Comme toujours, prenons-là comme un ordre de grandeur.

Nous savons que ce niveau d’émission est insoutenable et mène à la catastrophe et il convient donc de le réduire rapidement.

En fonction du rythme retenu, bien évidemment, l’état d’équilibre avec la capacité des puits carbone est atteint plus ou moins rapidement. Dès 2032 dans le cas d’une baisse soutenue de -10%/an. Plutôt vers 2050 dans le cas d’une baisse de -4%/an.

Nota : prendre un point de départ à 40 GtCO2eq qui correspond davantage à la valeur annuelle des seules émissions de CO2 ne change pas la conclusion.

Mais qu’est-ce qui fixe le tempo ?

Ce qui fixe le tempo c’est à la fois, le réchauffement maximal que l’on s’autorise et la probabilité associée.

Plus nous souhaitons limiter le réchauffement et plus la transition doit être rapide. Nous pouvons imaginer qu’une transition de court terme réduit drastiquement les incertitudes sur les évolutions du climat ce qui doit se traduire par une meilleure probabilité de succès.

Compte-tenu de l’historique des émissions, du réchauffement maximal que l’on s’autorise et de la probabilité associée, un budget carbone à ne pas dépasser peut être défini. Ce budget correspond à la “quantité maximale d’émissions de CO2 pour laquelle il y a une probabilité raisonnable d’éviter la hausse moyenne des températures au-dessus d’un certain niveau”.

Concrètement, vu de 2018, des valeurs typiques sont les suivantes :

  • hausse des températures à 1,5 °C à l’horizon 2100 avec une probabilité de 66% : 420 GtCO2
  • hausse des températures à 2 °C à l’horizon 2100 avec une probabilité de 66% : 1170 GtCO2

En fonction des scénarios de réduction des émissions de CO2 considérés (de -2%/an à -10%/an), le budget carbone évolue. Ci-dessous les tracés correspondants de 2020 à 2070.

Sans surprise, en l’absence d’effort le budget correspondant à un réchauffement de 1,5 °C à l’horizon 2100 est cramé en moins de 10 ans. Cela rappelle étrangement les propos de Greta Thumberg, le 23 septembre 2019 : “Avec les niveaux d’émission actuelles, le budget CO2 restant aura entièrement disparu dans moins de huit ans et demi”. Notre estimation grossière donne 2028.. Dans le cas d’un réchauffement de 2 °C, le budget est cramé plus tardivement mais pas trop non plus : entre 2040 et 2045.

Quelles trajectoires choisir ?

Il faut choisir les trajectoires qui mènent à la durabilité (équilibre avec les puits) et qui respectent le budget carbone. Concrètement, il faut que la durabilité soit atteinte au plus tard quand le budget carbone est consommé.

Alors partons du plus ambitieux : pour rester en dessous de 1,5 °C ça se passe comment ? En regardant à la fois les courbes de scénarios de décarbonation et de budget carbone, nous pouvons conclure que seules les trajectoires -8%/an et -10%/an répondent à l’engagement.

Et pour 2 °C ? Et bien c’est à partir de -4%/an de décarbonation que la transition est un succès. Ci-dessous, à titre illustratif, la comparaison des trajectoires de décarbonation à -2%/an et -4%/an.

Dans le cas de la décarbonation à -2%/an, le budget carbone restant (orange foncé) s’annule avant que les émissions annuelles (bleu foncé) n’atteignent l’équilibre avec les puits carbone (bleu clair pointillé).
Dans le cas de la trajectoire à -4%/an, les émissions annuelles (bleu foncé) atteignent l’équilibre avec les puits carbone (bleu clair pointillé) avant que le budget carbone (orangé foncé) ne s’annule.

Cette comparaison permet de conclure que le rythme de décarbonation doit être strictement plus rapide que -2%/an. Retenons -4%/an qui permet de répondre aux contraintes du système.

Moins ambitieux qu’une décroissance de -10%/an pour respecter une hausse de 1,5 °C, ce scénario -4%/an pour une hausse de 2 °C est également le plus facile à réaliser. Attardons-nous dessus.

Mais n’oublions pas que cela correspond à un respect des 2°C avec une probabilité de 66%. De manière complémentaire, cela correspond à 37% de chances d’échec. Bien que le scénario à -4%/an soit encourageant, les chances d’échecs restent très élevées ! Cela milite pour aller beaucoup plus vite que -4%/an.

Un scénario à -4%/an : la trajectoire du “moindre effort”

Caractérisons ce scénario à -4%/an : partant de 2020 avec un rythme de -4%/an, en 2050, l’humanité vérifie le critère des 1,5 tonne de CO2eq par personne soit ~4 fois moins qu’actuellement. Un facteur 4 correspond à une révision complète de nos modes de vie. Sans que la cible finale soit bien définie, il s’agit d’enclencher sans attendre une transformation à rythme soutenu sur 30 ans. En effet, imaginez l’effet d’une augmentation salariale de 4%/an pendant 30 ans : vous avez plus que triplé la mise ! mais dans notre scénario à 4%/an, vu depuis nos référentiels actuels, il s’agit plutôt de diviser le salaire par 3. Et encore nous n’avons parlé qu’en moyenne mondiale. Vue de France, la transformation consiste plutôt à diviser le salaire par 8…

Dans le référentiel actuel, il s’agit bien d’un choc mais soyons réaliste, si nous parvenons le monde de 2050 n’aura rien en commun avec le monde de 2020. Une telle comparaison salariale si elle vise à illustrer le choc à opérer dans le référentiel actuel ne saurait représenter quoique ce soit en 2050. Humainement, socialement, politiquement, le monde aura changé.

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I am passionate about energy transition issues