Transport de marchandises, modèles de coûts … Le transport ferroviaire (1/2)
Dans une réflexion précédente sur la résilience, nous constations que, même si la France était en capacité d’être autosuffisante d’un point de vue alimentaire, cela n’était pas suffisant puisqu’il fallait également être en mesure d’approvisionner l’ensemble du territoire et ce quelles que soient les perturbations. Cela nous menait à mettre en évidence le rôle crucial des transports dans une stratégie de résilience.
Dans le cas de la France où le transport routier représente 85% des tonnes-km de marchandises, il s’agit d’imaginer des stratégies pour réduire autant que possible la dépendance au pétrole de nos transports de marchandises tout en alliant plus d’écologie. Dès lors, le recours au transport ferroviaire adossé à une électricité bas carbone comme c’est la cas en France grâce au nucléaire semble la piste prioritaire. En termes d’émissions de gaz à effet de serre ses mérites semblent évident. En revanche, nous n’avons pas réussi à mettre la main sur un seul élément détaillé de coût.
Or, le coût est beaucoup plus concret que des émissions de CO2 et s’avère prépondérant dans la prise de décision d’investir dans tel ou tel mode de transport. N’ayant pas les idées claires sur le sujet, les lignes ci-dessous auront pour objectif d’établir une modélisation du coût du transport ferroviaire. Dans le but d’avancer dans une réflexion plus éclairée sur la résilience il s’agira de comparer les résultats obtenus avec ceux du mode prépondérant que constitue le transport routier par camion à pétrole. Un second article à venir sera donc dédié au calcul du coût du transport routier.
L’objectif très concret de notre démarche est d’obtenir pour chacun de ces moyens de transport le coût associé au transport d’une tonne de marchandise sur un kilomètre ; un résultat en € / tonne-km intégrant à la fois l’infrastructure qui soutient le moyen de transport et le moyen lui-même.
Un tel exercice fait intervenir de nombreux paramètres, nous détaillons l’ensemble de nos hypothèses ci-dessous puis les résultats.
Modèle de coût
La formule que nous proposons et que nous avons déjà appliquée au cas de la production électrique d’origine nucléaire pour les projets d’EPR de Flamanville 3 ou Hinley Point C.
Où :
- N est la durée de vie en exploitation du projet
- T le temps de construction du projet
- Ei est le coût annuel d’exploitation de l’année i
- Ii est l’investissement de l’année i
- Ci est le coût de la consommation énergétique de l’année i (considéré uniquement pour le calcul du coût de la tkm du train ou du camion)
- TKMi est le nombre de tonne-kilomètre produit à l’année i
- a le taux d’actualisation
Pour l’appliquer, il nous faut maintenant trouver les valeurs des différents paramètres, pour le transport ferroviaire et le transport routier (à venir). Ce que nous faisons ci-après.
Transport ferroviaire
L’infrastructure
Un projet ferroviaire est un projet à long-terme. Il consiste en un investissement “lourd” qui se répartira sur des dizaines et des dizaines d’années. L’ordre de grandeur qui ressort souvent est “100 ans”, ce n’est pas trop loin de la réalité. La durée de vie caractéristique est comprise entre 60 et 70 ans en moyenne pour les voies les plus sollicitées (groupes UIC de 1 à 4). En termes de sollicitation, la durée de vie d’une voie est comprise entre 800 millions et 2,5 milliards de tonnes-kilomètre ce qui correspond à un usage annuel entre 13 et 36 millions de tonnes-kilomètres. Il s’agit de valeurs moyennes, certaines voies étant prévues pour un usage jusqu’à ~100 millions de tonne-kilomètre à l’année. Pour la suite de l’analyse, nous retiendrons une valeur moyenne à ~23 millions de tkm/an (paramètre TKMi de notre modèle, ce qui se rapporte à une ligne des groupes UIC 1 à 4).
L’investissement peut être découpé selon les postes suivants :
- Études
- Terrain
- Infrastructure
- Voie
- Électrification et télécommunication
- Signalisation
Pour ces différents postes, les coûts d’investissement sont indiqués ci-dessous en M€2013/km dans le cas d’une simple voie et d’une double voie.
- Le plus gros poste d’investissement est celui de l’infrastructure qui couvre : préparation du sol, remblais, drainage, structures (murs, conduits d’eau, ponts, tunnels, passages supérieurs et inférieurs), clôtures et équipement de protection contre le bruit, voies d’accès aux services …etc.
- Le coût des études est pris comme pourcentage des autres postes d’investissement (de 0,03% à 0,3%).
- Le coût du terrain dépend fortement de la densité d’habitation de la zone considérée : quasiment nul dans les zone inhabitées, très couteux dans les zones fortement habitées. Dans certains cas “extrêmes”, pour un km de ligne, l’achat du terrain coûte plus cher que la construction.
- Le coût de l’infrastructure est impacté en fonction du nombre de voies et le facteur multiplicatif dépend de la difficulté de la configuration (jusqu’à x2,5 pour certaines doubles voies dans le cas des ponts)
- Ne sont pas pris en compte dans les coûts d’investissement les gares, les centres techniques …etc. nous pourrions le faire.
En termes d’ordre de grandeur, ces informations sont cohérentes avec celles d’un rapport de la Commission européenne dédié aux coûts d’investissements du ferroviaire. Le tableau suivants en donne une synthèse pour la construction de nouvelles lignes (unité = M€/km) :
Nous retenons un ordre de grandeur de 6 M€/km pour la suite de l’analyse (paramètre Ii pour les T années de construction du modèle).
La construction d’une ligne ferroviaire peut varier de quelques années à plus de 20 ans. Nous retenons une durée de construction de 5 ans dans un premier temps (paramètre T du modèle).
En fonction du trafic journalier et de la vitesse des trains, les coûts de maintenance du rail à “long terme” peuvent varier de manière importante comme en témoigne le graphique ci-après.
Pour le fret, la vitesse typique est 100 km/h. La courbe en bleu sera donc notre hypothèse principale, il nous faudra prendre en compte les bonnes plages de coûts en fonction de l’usage du rail. Avec une valeur moyenne de entre 13 et 36 millions de tkm/an, la valeur typique du coût de maintenance que nous retiendrons en base dans l’analyse est de 30x10³€/km.
L’infrastructure elle-même fait l’objet d’une maintenance. Celle-ci est d’autant plus importante que l’exploitation avance dans le temps. A terme, cela représente entre 2% et 12% de l’investissement initial par an avec une valeur moyenne de 6% que nous retenons pour l’analyse. Afin de rendre compte de la progressivité des coûts dans le temps, un profil est supposé pour les calculs.
Pour la maintenance des installations électriques, de télécommunication et de signalisation les hypothèses sont plus simples :
- Électricité et télécommunication : 2% de l’investissement initial du périmètre par an
- Signalisation : 4% de l’investissement initial du périmètre par an
Synthèse de notre cas de référence pour l’infrastructure :
- Une ligne de 500 km
- A 6 M€/km
- Construite en 5 ans
- Pour une exploitation de 70 ans à ~23 millions de tkm/an
- Un taux d’actualisation de 8%
Le coût moyen actualisé résultant est de 13,9 €/tkm :
Pour l’infrastructure, 87% du coût de transport de la tkm est lié au capital tandis que seuls 13% sont liés à l’exploitation.
Le cout moyen actualisé de la tkm est fortement impacté par l’hypothèse de taux d’actualisation. Avec un coût du capital proche de zéro, le coût résultant est de 5 €/tkm tandis qu’il passe à 17,3 €/tkm pour un taux de 10%. La part du capital dans le coût de la tkm augmente également avec le taux d’actualisation. Pour un taux de zéro, le capital ne représente plus que 38% du coût de la tkm de notre cas de base tandis qu’il pèse pour 90% dans le cas d’un taux d’actualisation de 10%.
De même que pour les projets nucléaires, la qualité du financement a un impact énorme sur le coût de l’infrastructure ferroviaire et donc sa compétitivité.
Notre cas de référence à 6 M€/km donne un coût de 13,9 €/tkm. Les hypothèse extrêmes de 1,6 M€/km et 9,9 M€/km pour une ligne conventionnelle mènent aux coûts suivants :
Le train
Le train est constitué d’une ou plusieurs locomotives en fonction du besoin de traction et de plusieurs wagons pour le transport de marchandises.
La durée de vie typique pour une locomotive est de 30 ans (entre 15 et 40 ans). En termes de coût d’investissement, il faut compter quelques millions d’euros selon la règle MW/3 +1.
Pour les wagons, la durée de vie est comprise entre 15 et 20 ans pour un wagon et le coût d’investissement est de 75 k€ en moyenne.
Un wagon présente une capacité de 125 tonnes et les taux de remplissage seraient manifestement assez faible. En effet, un taux de remplissage de 50% est considéré comme excellent. Entre la masse à vide et en charge d’un wagon, il peut y avoir une très grande variabilité. Nous supposerons une masse à vide de 25 tonnes pour chaque wagon.
Pour les besoins de l’analyse, nous partons de la valeur du chargement moyen par train en France : 497 tonnes.
Avec une capacité supposée de 125 tonnes en chargement par wagon, avec un taux de remplissage de 50%, le nombre de wagons nécessaire pour atteindre la moyenne de 497 tonnes par train est de 8. Nous supposons en base que notre train est constitué d’une locomotive et de 8 wagons.
Par ailleurs, dans une logique d’optimisation, nous considérons que le train fonctionne jusqu’à la valeur du TKMi de l’infrastructure soit ~23 millions de tkm/an. Le nombre de km parcourus chaque année i par le train s’exprime donc de la manière suivante :
Le nombre de km parcourus par le train intervient dans le calcul des coûts liés à la maintenance :
- Pour la locomotive : 20% de l’investissement initial par km-locomotive (pour une locomotive à 4 M€, cela fait 0,8 €/km-locomotive) ce qui revient dans notre exemple à 18 k€/an.
- Pour les wagons : 0,07 €/km-wagon en conditions économiques de 2000 et 0,08 €/km-wagon vu de 2013 ce qui revient dans notre exemple à ~21 k€/an.
Pour finir sur les coûts, la consommation électrique du train doit être prise en compte. Pour un train de marchandise se déplaçant à 100 km/h, la consommation s’élève à 22 Wh/tkm. Avec un prix de l’électricité de l’ordre de 0,2 €/kWh, la facture annuelle pour notre train constitué d’une locomotive et de 8 wagons s’élève à ~104 k€. En termes de coûts d’exploitation, la consommation électrique est de loin le plus gros poste.
Synthèse de notre cas de référence pour le train :
- Une locomotive
- 8 wagons
- Vitesse de 100 km/h
- Un taux de remplissage de 50%
- Une exploitation à ~23 millions de tkm/an
- Un taux d’actualisation de 8%
Le coût moyen actualisé résultant est de 0,027 €/tkm :
Pour le train, 54% du coût de transport de la tkm est lié au capital tandis que seuls 46% sont liés à l’exploitation (16% pour la consommation d’électricité).
Mais avant tout nous pouvons être surpris par la valeur extrêmement faible. Payer 0,027 € pour déplacer 1 tonne d’un km, cela paraît véritablement ridicule. Le premier réflexe est donc de se demander si le calcul n’est pas erroné et de réexaminer les hypothèses. Néanmoins, l’ordre de grandeur est confirmé par une analyse comparative de la compétitivité des transports européens et américains où le coût de transport varie entre 0,01 €/tkm et 0,36 €/tkm pour des conditions économiques de 2006.
Pour le train, l’analyse de sensibilité à la valeur du taux d’actualisation est la suivante.
Même si les ordres de grandeurs sont conservés ~0,02 €/tkm, une variation de 2% du taux pour un passage de 8% à 10% ou de 8% à 6% se traduit par une variation de coût de ~10%.
Au global, notre cas de référence donne un coût de transport de marchandise par voie ferroviaire (infrastructure + train) à 13,9 €/tkm qui correspond fondamentalement à l’infrastructure (99,8% du coût total).
Il nous faut désormais regarder du côté du transport routier qui est, comme nous l’avons vu, le mode dominant. Cela fera l’objet d’une seconde partie.